5@8 Créatif – La Fabrique de l’innovation

Par :

Romain Rampa

 Suite au 5@8 Créatif de Mosaic du 14 décembre 2016:

Présentation:

Gilles Garel

Professeur titulaire, Chaire de gestion de l’innovation du Conservatoire national des arts et métiers (Cnam) à Paris

Elmar Mock

Ingénieur horloger, fondateur de la société Creaholic à Bienne en Suisse

L’on entend beaucoup parler d’histoires d’innovation, qui expliquent l’émergence et le développement de produits et services. Ces histoires sont souvent romancées, presque devenues mythiques. Peu, cependant, retracent réellement les faits et les pratiques permettant d’appréhender, de comprendre et de prendre du recul sur « l’innovation en train de se faire ». C’est le contrepied qu’on prit nos deux prestigieux invités, Gilles Garel et Elmar Mock, pour nous conter comment se fabrique l’innovation de rupture de manière répétée dans le temps. Leur histoire est d’abord celle d’une rencontre entre un chercheur de terrain travaillant sur les processus d’innovation, et celle d’un praticien réflexif co-inventeur de la Swatch et fondateur d’une firme dédiée à l’innovation au service de grands groupes industriels depuis plus de 30 ans, Créaholic. Une rencontre qui va alors allier théorie et pratique pour observer, comprendre, traduire et bâtir sur les méthodes, les processus et les raisonnements pour concevoir l’innovation.

Nos deux conférenciers commencent par nous mettre en contexte. L’innovation dont il est question pour ce 5@8, n’est pas l’innovation réglée, incrémentale, qui améliore, construit et optimise des produits et services déjà familiers ou existants, mais plutôt l’innovation de rupture, concernant les produits et services de demain, qui sont encore inconnus au moment où ils sont travaillés. Or, travailler des innovations de rupture n’est pas tâche aisée, car cela requiert de « gérer de manière différente et spécifique deux univers distincts »! Il faut être à l’aise de travailler dans l’inconnu, d’explorer le monde des imaginaires, des concepts, des propositions ni vraies ni fausses qui vont mettre en marche et donner des prises à l’exploration. Mais il faut aussi savoir travailler dans l’univers de la science, des faits, des connaissances, et de l’expertise. En quelque sorte réconcilier l’univers de prédilection du scientifique, de l’expert, de l’ingénieur, avec celui de l’artiste, du designer et de l’écrivain[1]. Gérer l’innovation nous disent-ils, c’est savoir gérer la tension entre ces deux univers, savoir passer de l’un à l’autre, apprendre à gérer les spécificités de chacun pour provoquer et construire de manière rigoureuse l’innovation.

La Swatch, au-delà du mythe, est un exemple parfait de ce passage systématique de l’univers des concepts à celui des connaissances. Concevoir une montre de qualité suisse grand public et bon marché, voilà un concept ambitieux, un paradoxe quasi inimaginable il y a presque 40 ans ! Et pourtant ce concept donna naissance à un croquis qui en amorça le développement. Loin d’être un processus linéaire, l’émergence de la Swatch que nous conte Elmar Mock est plutôt celle d’une aventure de presque cinq ans, alternant exploration de connaissances provenant à la fois de l’horlogerie, mais aussi de la plasturgie ou encore du secteur de l’automobile. Elmar Mock souligne aussi l’importance du travail sur des concepts assez surprenants pour l’époque, comme celui de faire de la montre un objet de mode: une exploration et un travail acharnés qui amèneront au succès fulgurant de la Swatch que l’on connait tous.

Ce que l’on sait moins, c’est que le cofondateur de la Swatch a quitté l’entreprise pour développer une firme spécialisée dans la conception d’innovations en tout genre, travaillant avec de nombreux grands groupes, et qui a su répéter ce modèle de manière systématique dans le temps. Les clés du succès de cette firme qui ont été dévoilées par nos deux conférenciers sont multiples: Une équipe multidisciplinaire constituée d’ingénieurs, d’économistes, mais aussi de comptables, de sociologues, de bricoleurs réunit autour d’une mission commune celle de construire ensemble des innovations; une gouvernance et un capital partagés pour assurer transparence, équité et confiance au sein du groupe; des lieux dédiés aux différentes phases qui s’alternent, avec un tiers de bureau, un tiers de zone de travail et de prototypage, et un tiers d’espaces créatifs; ou encore un refus catégorique de produire les innovations à l’interne.

La liste est encore longue des règles, outils et méthodes utilisées et travaillées par notre duo de ce soir, que nous ne pouvons toutes développer dans ce bref compte rendu. Les plus curieux pourront heureusement se référer au dernier livre de nos conférenciers, La fabrique de l’innovation, qui lui reprend toute l’histoire. En attendant, deux grandes leçons sont à tirer de cette soirée. La première est que l’innovation de rupture est possible et répétable, mais demande une gestion qui n’est pas linéaire et qui doit gérer la tension entre deux univers différents. La deuxième, et sans doute la plus belle, c’est que la créativité et la narration ont cela en commun, qu’il convient souvent de combiner deux univers à priori distincts (disons un chercheur et un praticien, un accent suisse et un accent français…) pour obtenir les plus beaux chefs-d’œuvre.

 

Vous pouvez aussi suivre le MOOC Fabriquer l’innovation est en ligne ICI.

 

[1] Les conférenciers mobilisent des notions qui s’appuient notamment sur les travaux de la chaire des théories et méthodes de la conception innovante de l’école des Mines de Paris. En particulier ceux de A. Hatchuel, B. Weil et P. Le Masson.