Dans les coulisses d’Ubisoft : Retour sur le 5@8 avec Yannis Mallat, PDG des studios canadiens Ubisoft

Compte-rendu par Patrick Groulx (Candidat au Ph.D- HEC Montréal)

C’est dans une ambiance de célébration soulignant les 10 ans de Mosaic que l’animateur du 5@8 et l’un des co-fondateurs de Mosaic, le professeur Laurent Simon, accueillit Yannis Mallat, PDG des studios d’Ubisoft au Canada. Ensemble, ils discutèrent du passé, du présent et de l’avenir non seulement d’Ubisoft Canada, mais également de la place de l’industrie du jeu vidéo dans la société. Quelles furent les étapes marquantes des studios de Montréal ? Que veut dire faire un jeu vidéo de nos jours ? Quel est et quel sera le rôle de la communauté de joueurs ? Multiples furent les questions et les enjeux traités lors de ce 5@8. Avant tout, Ubisoft Montréal, c’est une aventure de plus de 20 ans, plus d’une centaine de jeux développés contenant des franchises de classes mondiales (Splinter Cell, Assassin’s Creed, Far Cry). C’est aussi plus de 3 000 experts dans les studios de Montréal, situé dans le Mile-End.

Créativité, passion et amitié… voici le compte-rendu du dernier 5@8 Mosaic de 2018 : Dans les coulisses d’Ubisoft.

Un peu d’histoire…

Ubisoft est une entreprise française qui est venue s’installer à Montréal le 25 avril 1997 suite à la mise en place d’institution favorisant le développement d’infrastructure de l’industrie du jeu vidéo par le premier ministre de l’époque, Bernard Landry. Cette intuition et cette vision forte du gouvernement menèrent ainsi au début de la création de l’écosystème du jeu vidéo à Montréal. C’est donc en 2001 que l’ancien étudiant du programme de MBA de HEC Montréal, Yannis Mallat, se joint au rang du studio de Montréal en tant que producteur de jeu « third party ». À travers les années, il connut une ascension rapide, à l’image du studio de Montréal, ce qui le mena finalement en 2006, à l’âge de 32 ans, à devenir PDG d’Ubisoft Montréal.

Parlons des moments clés du passé …

C’est avec une grande humilité que M. Yannis Mallat nous rappelle que le succès du passé d’Ubisoft s’est bâti avant tout sur plusieurs échecs :

«Si on a eu tout ce succès-là, c’est aussi parce qu’on a carburé aux échecs. Mais ça, on n’en parle jamais… Ubisoft ce n’est pas que des grandes marques, c’est aussi des erreurs, c’est aussi des gens que nous avons perdus, qu’on ne voulait pas perdre. […] C’est avant tout une aventure humaine. »

-Yannis Mallat

Le premier moment fort de l’histoire remonte à la fondation même du studio de Montréal. Au moment de la fondation, l’expertise du jeu vidéo était loin de ce que nous connaissons aujourd’hui. C’est avec un sentiment de fébrilité, de naïveté et d’ambition que les employés du nouveau studio à l’époque attaquèrent de plein fouet la nouvelle mission qui leur étaient attribuée : convaincre que le studio de Montréal était non seulement rentable, mais également un gage de succès. La première étape consistait donc à apprendre à faire un jeu vidéo.

Ce qui nous amène donc au deuxième moment clé, soit la présentation de l’édition 2002 de l’E31 du premier grand succès du studio de Montréal : Splinter Cell. C’est donc grâce à une conjoncture technologique, soit l’arrivée de la toute première console de Microsoft, que les studios de Montréal firent leurs preuves. Au lancement de ce succès mondial, le message était lancé au restant de l’industrie : Ubisoft Montréal est présent. Le studio de Montréal a donc développé sa signature : repousser les limites technologiques afin de créer des jeux mémorables. C’est une année plus tard que le troisième moment fort du studio arriva : l’arrivée de Prince of Persia : Sands of times. Il était important de montrer à l’industrie que Splinter Cell n’était pas un coup de chance ou encore, pire, une erreur de parcours. Ubisoft Montréal confirma donc qu’il avait bel et bien développé une grande expertise créative et technique. Finalement, notre invité ne pouvait passer à côté de l’événement qui marqua l’histoire des studios de Montréal, soit le développement d’une nouvelle marque de jeu vidéo : Assassin’s Creed. Avec cette franchise qui connut un succès monstre, Ubisoft Montréal manifesta sa volonté d’occuper une place déterminante dans l’industrie du jeu vidéo.

Plus aucun doute, le studio de Montréal fait désormais partie des grands. Cependant, ce succès n’est pas anodin. Selon M. Mallat, cela a pris de l’audace dans le leadership tout en faisant confiance aux équipes. Le défi consistait à installer un climat bienveillant afin de permettre aux employés de créer et de s’épanouir librement :

« Je dis souvent que le rôle d’un gestionnaire est d’aider le monde à grandir. Je travaille donc beaucoup plus sur l’environnent qui permet aux gens de se sentir [en sécurité], de se casser la gueule, de vouloir innover, de vouloir casser les moules (…). C’est de protéger les gens, les équipes, d’eux-mêmes, parfois de l’environnement interne. Nous avons une structure en gestion de projet et donc il y a un climat compétition qui forcément s’installe (…) Et puis il y a l’humilité aussi. Nous, on ne sait pas comment on va avoir du succès l’année prochaine. Ça nous garde donc [sur les talons] ».

-Yannis Mallat

Et aujourd’hui … ?

Au niveau de l’industrie, depuis l’arrivée des consoles de nouvelles générations, le marché de l’emploi a été complètement bouleversé. Auparavant, sept à huit emplois suffisaient à développer un jeu vidéo. Maintenant, on parle d’une quarantaine d’emplois différents, 1000 personnes différentes sur trois à quatre années. Selon les mots de notre invité : « On pousse la machine ». Concrètement, les studios de Montréal collaborent avec des studios situés un peu partout dans le monde. Les développeurs font face à des enjeux de communications avec d’autres programmeurs venant d’autres fuseaux horaires, d’autres cultures, d’autres langues … et ainsi de suite. Certaines boîtes japonaises, bien connues du marché, n’ont pas pu s’adapter à cette transition de la main d’œuvre. Et donc, une bonne partie du marché a disparu en quelques années.

L’industrie du jeu vidéo vit actuellement l’un des virages les plus importants depuis ses débuts : le passage d’une industrie de produit vers une industrie de service. Auparavant, l’industrie n’avait guère à s’occuper de ses jeux une fois la mise en marché effectuée. Maintenant, un jeu comme Rainbow Six a une communauté active pouvant atteindre les 3 000 000 de joueurs par jour. Il est donc important d’entretenir cette communauté en développant du nouveau contenu ainsi qu’en tenant compte des nouveaux besoins des acteurs. Nous voyons dans l’industrie une appropriation du contenu par l’audience. Les joueurs deviennent donc plus impliqués et, par conséquent, plus exigeants et critiques

envers les jeux. Cela amène donc de nouveaux défis de création, mais également de gestion. Les barrières qui existaient anciennement entre la compagnie de développement et les gamers tombent. Cet effet d’appropriation a le potentiel d’inverser tous les rôles de création et de production.

Bref, pour réussir aujourd’hui dans le milieu du jeu vidéo, il est important de garder une humilité et de vivre avec le doute : savoir que nous ne savons pas. La vision du jeu comme plateforme d’échange entre les programmeurs et la communauté de joueur amène une complexité au niveau de la gestion. De nouveaux emplois émergent et révolutionnent la manière dont un jeu vidéo est consommé. Il est donc essentiel de rester aux aguets des nouvelles tendances et, surtout, rester proche de sa communauté de joueurs.

Le futur d’Ubisoft

Une fois de plus, c’est avec grande humilité que M. Mallat nous dévoile ses craintes concernant l’avenir de l’industrie du jeu vidéo. Nécessairement, il commença par affirmer la peur que tous les stratèges des grandes entreprises peuvent ressentir : manquer le prochain bateau. En d’autres termes, dû à l’évolution fulgurante de l’industrie du jeu vidéo, il est difficile de cibler les compétences qui deviendront clés dans les années à suivre. M. Mallat nous rappelle donc, une fois de plus, la nécessité de rester ouvert aux nouvelles tendances de l’industrie et d’être en constante connexion avec notre usager final. Ceci étant dit, notre invité a soulevé un projet qui lui tient particulièrement à cœur : développer le rôle du jeu vidéo dans le domaine de l’éducation.

Le 12 décembre 2018, le PDG d’Ubisoft lança le programme Ubisoft Éducation qui a pour but de former les jeunes aux emplois du futur. Pour M. Mallat, la raison pour laquelle ce médium occupe une place privilégiée dans la vie des plus jeunes et des plus vieux est l’interactivité que proposent les jeux vidéo. Grâce à cette interactivité, un jeu peut répondre rapidement à trois besoins fondamentaux d’un être humain : se sentir compétent, autonome et en relation avec quelqu’un. Ce potentiel vient, cependant, avec une responsabilité. Il est donc temps, pour M. Mallat, d’utiliser le jeu vidéo comme levier d’enseignement et de préparer la future génération à s’attaquer aux défis technologiques des futurs emplois qui, souligna-t-il, n’existent même pas encore. Le programme vise

l’accompagnement de plus de 10 500 jeunes à travers les différentes étapes d’un parcours scolaire : du primaire à l’université.

… Ubisoft dans 20 ans ?

Pour M. Mallat, l’industrie aura complètement changé. Ubisoft sera à même de créer des univers du début à la fin, de manière quasi-démiurgique. Il n’y aura plus de frontière, plus d’autorité imposée, plus d’auteur. Ces univers revêtiront la forme d’une plateforme permettant la collaboration transversale entre plusieurs métiers différents… des métiers qui n’existent pas encore !

Dernière petite leçon :

Finalement, quelles seraient les qualités à développer afin de relever les futurs défis ?

« Humilité, empathie et leadership… bref ce que les machines ne pourront jamais faire.»