Retour sur le 5@8 avec Alexandre Bigot-Verdier de OuiShare

Décentraliser les organisations pour en faire des plateformes de personnes

Par Elie Saaoud

 

Que réserve le futur pour l’entreprise traditionnelle face au nombre de plus en plus élevé de travailleurs autonomes? Faisons-nous face à une rupture de la structure organisationnelle hiérarchique et fermée? Le 15 novembre 2017, Mosaic a reçu Alexandre Bigot-Verdier, connecteur chez OuiShare, pour discuter d’un sujet très d’actualité, les plateformes collaboratives, qui permettent à des professionnels, des experts, des techniciens d’entrer en contact avec des clients sans nécessairement devoir passer par l’institution de l’entreprise et se conformer à sa bureaucratie, ses normes, sa culture, son 9 à 5 et tous ses autres aspects contraignants. Entrons-nous donc dans l’ère du « freelance »? Quels bienfaits ces plateformes amènent-elles à leurs membres, aux clients, à la société? Quelles sont leurs limites? Multiples sont les questions auxquelles nous avons pu réfléchir durant cette conférence. En voici le compte-rendu:

 

Tout d’abord, qu’est-ce que OuiShare?

OuiShare est une plateforme pour travailleurs autonomes, un écosystème, une organisation émergente et, surtout, un incubateur de personnes. Plus concrètement, c’est un réseau mondial de projets, d’initiatives, d’individus qui oeuvrent dans toutes les facettes imaginables de l’économie collaborative. C’est un lieu de réflexion et d’action visant à faire émerger une société davantage axée sur la collaboration, l’ouverture, la confiance et la co-création de valeur. Festivals, conférences, incubation d’initiatives, médias en ligne, recherche académique et masterclasses ne sont que quelques-unes de leurs activités.

 

Tout au long du développement de cette plateforme, ses membres apprirent plusieurs leçons, souvent suite à des erreurs. Alexandre Bigot-Verdier nous en a partagées quelques-unes.

 

Leçon 1: L’importance des interactions

Deux types d’interactions sont à distinguer dans les organisations de l’ère numérique: les interactions virtuelles et les interactions réelles.

Bien que les interactions virtuelles soient fondamentales à l’aspect « réseau » d’une organisation, les interactions en face à face sont quant à elle cruciales au succès de celui-ci. Bien que OuiShare soit née sur les réseaux sociaux, il a fallu qu’un jour les discussions sur le web aboutissent à des contacts réels dans des lieux physiques. C’est pour cela que OuiShare encourage les membres de ses communautés locales à travers le monde de se rencontrer régulièrement pour débattre,  prendre des décisions et même simplement échanger. En effet, les interactions en face à face sont importantes, car elles permettent de développer de la confiance à travers des discussions informelles, par exemple. D’ailleurs, OuiShare organise deux fois par année des rencontres rassemblant une grande partie du réseau mondial. Bien que l’organisation de ces événements soit dispendieuse, ils sont nécessaires à la vision démocratique de l’organisation et permettent de réfléchir conjointement à la stratégie mondiale tout en créant des souvenirs, des connexions et de la confiance.

 

D’autre part, la structure de OuiShare est bâtie sur ces interactions. Formellement, il n’y a pas de structure hiérarchique verticale ni de statuts officiels comme dans les entreprises traditionnelles. Tout le monde peut devenir leader en s’impliquant davantage. Par contre, cela ne signifie pas que les jeux de pouvoir sont inexistants! Il est normal que certains projets portant plus d’intérêts aient plus d’influence sur le pouvoir décisionnel global. Enfin, nous voyons que l’horizontalité parfaite si convoitée par de nombreuses organisations est difficile, voire même impossible à atteindre.

 

Leçon 2: Culture horizontale: comment et quels outils?

L’horizontalité ne se gère pas de la même manière que la verticalité. Effectivement, organisation horizontale signifie nécessairement des politiques de transparence, de gouvernance et de financement adaptées.

 

Premièrement, la transparence est nécessaire à la gestion saine d’une plateforme de personnes. Puisque l’information est synonyme de pouvoir, l’horizontalité peut facilement se perdre si une poignée de personnes accaparent toute l’information critique. Pour remédier à cela, OuiShare a mis en place un portail web où tous les membres peuvent retrouver l’information sur tous les projets existants. Du même coup, cela permet à n’importe qui de reproduire les projets ayant eu du succès et d’amplifier le mouvement OuiShare.

 

Deuxièmement, horizontalité est égale à participation équitable. Une organisation horizontale doit mettre en place des méthodes de prise de décisions qui prennent en compte tous ses membres. En effet, de nombreuses technologies sont rendues disponibles pour faciliter la prise de décision participative. Chez OuiShare, la plateforme Loomio permet d’inclure tous les membres nécessaires à un processus de prise de décision au sein d’un projet spécifique. De plus, elle permet aussi de documenter toutes les décisions qui se prennent au cours du développement d’un projet ou de l’organisation globale et d’y revenir plus tard au besoin.

 

Troisièmement, une structure horizontale signifie une allocation des ressources plus équitable aux projets. Comment décider combien d’argent à allouer à un projet et combien pour un autre sans causer de conflits? Les membres de OuiShare utilisent CoBudget pour la gestion des budgets. Cette application permet à n’importe quel membre d’ouvrir un projet à financer, de légitimer son projet et ainsi recevoir un budget. Aussi, elle permet de donner du pouvoir décisionnel par rapport aux budgets globaux à certains membres qui se démarquent davantage par leur implication. Ainsi, ils peuvent influencer l’allocation du financement pour les projets de leurs communautés.

 

Leçon 3: Comment cette structure permet-elle de catalyser la créativité et l’innovation?

OuiShare est un exemple très révélateur d’une organisation qui a su créer un environnement propice à l’innovation. Effectivement, une plateforme de personnes avec une culture adaptée est certainement propice à la création de nouvelles idées. Pour cela, Alexandre Bigot-Verdier soulève l’importance d’ancrer l’expérimentation dans la culture du réseau. Comme valeur principale de OuiShare, elle amène les membres à toujours tout challenger, à ne pas avoir peur de l’échec et d’être constamment en apprentissage. Aussi, l’apprentissage est un autre élément crucial à l’innovation. Pour avoir des idées, il faut avoir des connaissances! C’est pourquoi OuiShare a intégré dans sa mission l’épanouissement de ses membres. En effet, l’objectif est de créer un lieu où les individus peuvent s’échanger des connaissances et acquérir de nouvelles compétences pour ainsi les préparer à leurs expériences futures.

 

En conclusion, la décentralisation des organisations détient beaucoup d’avantages, mais elle ne vient pas sans effort. Une nouvelle structure signifie nécessairement un nouvel alignement avec la stratégie, le type de gestion, les processus et la culture. Ce changement de paradigme remplacera-t-il l’entreprise traditionnelle? Seul le futur peut nous le dire, mais une chose est sûre, le mouvement des plateformes collaboratives dirigé par OuiShare n’est pas proche de ralentir!